La colocation thérapeutique

En 2023 l’Îlot a lancé un projet inédit en France dans le domaine de la réinsertion d’un public d’anciens détenus atteint de troubles psychiques : la colocation thérapeutique.

Adossée au Centre d’hébergement et de réinsertion sociale les Augustins à Amiens, la colocation thérapeutique est une unité de vie destinée à d’anciennes personnes détenues, sujettes à des troubles psychiatriques le plus souvent psychotiques, isolées sur le plan social et sans solution d’hébergement. Cette unité de vie a été imaginée par l’Îlot et le docteure Jouin, médecin responsable du service psychiatrique de la Maison d’arrêt d’Amiens. La colocation thérapeutique accueille en priorité des patients qui se montrent motivés, qui ont envie de se soigner, qui ont déjà investi leur prise en soin psychiatrique. D’anciens détenus qui ont tissé un lien avec le service psychiatrique de la Maison d’arrêt d’Amiens, sur lequel l’équipe de la colocation thérapeutique s’appuie, et grâce auquel les patients peuvent s’inscrire dans une continuité. « Pour que ce qui a été fait « dedans », où ils sont très contenus, tienne « dehors », malgré la perte de repères », déclare le docteure Jouin.

Dans une petite maison aménagée à dessein, le but est de favoriser l’entraide mutuelle entre ces anciens détenus souffrant de troubles psychologiques, et les aider à se saisir pleinement de leur quotidien pour reprendre pied dans le monde en dehors de la prison : dresser la liste de courses et cuisiner en suivant la recette, entretenir la maison et planifier les petites réparations, respecter ses engagements et ses obligations... Autant de leviers pour leur apprendre à être autonomes, parce que l’incarcération et leurs problématiques psychiques les en ont jusqu’alors empêchés.

Denise BAVARD, Maitresse de maison de la colocation thérapeutique explique en quoi consiste son travail auprès des résidents de cette unité de vie atypique.

« Maitresse de maison c’est beaucoup de coaching pour (ré)apprendre à vivre au quotidien. Je suis le chef d’orchestre de la colocation. Je les incite à vivre ensemble dans l’entraide, le respect de l’autre, des lieux et surtout de soi. C’est très important de se respecter quand on a été abîmé par le temps en détention et, souvent, par un début de vie chaotique qui a mené en prison. Les résidents ont une très mauvaise estime d’eux-mêmes. Ils ont l’impression que tout le monde les regarde en sachant qu’ils ont fait de la prison. Ils ne savent pas non plus recevoir un compliment.

Je suis là pour les aider à retrouver l’autonomie qu’ils ont perdue, je suis une sorte de « kiné de la vie sociale ». Par exemple aller à un rendez-vous médical est très compliqué pour eux. Cela demande de :

  • réaliser qu’on ne va pas bien ;
  • faire la démarche de prendre un rendez-vous ;
  • aller au cabinet médical ;
  • se déshabiller ;
  • parler de soi.

C’est trop difficile pour des gens qui se sentent jugés. Ils ont besoin d’un accompagnement pour faire cette démarche.

Je leur réapprends comment faire des choses « simples » du quotidien, comme établir le menu de la semaine puis aller faire les courses en fonction. Nous y allons une fois en voiture, l’autre fois en bus, pour qu’ils apprennent à se déplacer seuls en transports. Avec un budget alimentation de 40€ chacun par semaine, je les aide à étudier les prix, faire des choix en fonctions de cela et de leurs envies, tout en rappelant les bases d’une alimentation saine et équilibrée. C’est un véritable exercice !

Il y a tout un travail de réassurance qui se fait via des moments d’échanges spontanés, autour d’un jeu de cartes ou une autre activité. Il faut que les résidents aient confiance en moi pour pouvoir se saisir de mes conseils. Parfois ils se livrent sur leur parcours de vie chaotique, c’est très touchant mais je me dois – et je sais- garder une distance professionnelle et avoir une bonne capacité de recul. C’est très gratifiant de les voir réussir à accomplir des gestes quotidiens dont ils n’étaient plus capables. La colocation thérapeutique c’est une véritable rééducation à la vie sociale. »

Pudique et timides deux colocataires se sont confiés sur leurs premiers mois de vie à la colocation thérapeutique et sur ce que cela représente pour eux.

Nadir 43 ans

  • Comment avez-vous entendu parler de la colocation thérapeutique de l’Îlot ?
    J’ai été en détention pendant un an et demi, c’est ma CPIP qui m’en a parlé deux mois avant ma libération.
  • Pourquoi étiez-vous désireux d’intégrer la colocation thérapeutique ?
    Je ne pouvais pas et ne voulais pas retourner chez ma mère, je voulais retrouver une forme d’autonomie.
  • Comment s’est passé votre accueil ? La découverte du bâtiment ? des autres résidents ?
    J’ai été très bien accueilli à mon arrivée à la colocation. Le bâtiment est très propre, c’est toujours propre ici et l’équipe est très gentille. Je suis le deuxième colocataire à y vivre.
  • Quel contact entretenez-vous avec les autres résidents ?
    On s’entend plutôt bien malgré nos différents. On mange ensemble. Parfois ça râle un coup et après ça va.
  • Comment se passe une journée à la colocation ?
    Je sors pour marcher, j’aime beaucoup marcher. J’ai été enfermé pendant longtemps. Marcher pour moi c’est nécessaire. Je vais bientôt commencer l’atelier d’art.
  • Depuis votre arrivée avez-vous vu des avancées, dans votre situation administrative ? dans votre suivi médical ?
    Ma référente est à mon écoute et m’aide à envisager des projets. Mon suivi médical est assuré par le docteure Jouin. C’est déjà elle qui faisait mon suivi en prison, ça m’a rassuré de continuer avec elle à la sortie, car je la connaissais déjà.

Brian 24 ans

  • Comment avez-vous entendu parler de la colocation thérapeutique de l’Îlot ?
    C’est le docteure Jouin qui m’en a parlé en détention.
  • Pourquoi étiez-vous désireux d’intégrer la colocation thérapeutique ?
    J’avais besoin d’un logement. J’avais aussi envie de recevoir de l’aide et un accompagnement administratif qui m’éviteraient de « retourner dans les bêtises ». Et surtout j’allais continuer le suivi médical avec le docteure Jouin, ça me rassurait. Avant elle, je ne parlais à personne. Pour le suivi c’était elle ou personne.
  • Comment s’est passé votre accueil ? La découverte du bâtiment ?
    Je suis le troisième résident à être arrivé, ça s’est bien passé. J’avais fait une visite avant pour découvrir les lieux et ça m’avait bien plu.
  • Quel contact entretenez-vous avec les autres résidents ?
    La colocation parfois il y a des couacs, parfois ça roule. Les conflits ça vient surtout de la vaisselle, quand elle pas faite par les autres. Je suis plutôt maniaque, je n’aime pas quand c’est sale…
  • Comment se passe une journée à la colocation ?
    Je suis en formation. Je suis en CEJ (Contrat d'Engagement Jeune qui se fait par le biais de la Mission Locale). Je fais des stages en entreprise 35h/semaine. Ce sont des stages qui permettent de découvrir différents milieux professionnels et ouvrent des possibilités d’embauche.
  • Depuis votre arrivée avez-vous vu des avancées dans votre situation administrative ?
    Tout ce qui est administratif a été réglé avec l’aide de l’assistante sociale de la colocation, de la maîtresse de maison et de l’infirmière. Donc inscription Pôle emploi, CAF, Sécurité sociale, amendes à payer, … tout est réglé.
  • Quels sont vos projets pour la suite ?
    Je voudrais trouver un travail et un logement pour pouvoir m’occuper de mon fils de 1 an.
  • Auriez-vous pu avoir ces projets sans votre passage à l’Îlot ?
    Le soutien de l’Îlot me permet d’envisager un avenir car je sais que quelqu’un est là pour m’aider si j’ai une galère.

Découvrez aussi l’interview du docteure Jouin la psychiatre avec qui l’Îlot a bâti le projet de collocation thérapeutique.

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